PORTRAIT

par Nadia Thigidet

Journaliste

 

Il dit tout, le dessin de cette virgule imposante, griffée sur le jaune d’une toile accrochée en bonne place, dans son atelier du quartier de Saint-Barnabé. Une virgule assumée, largement noire, résolument courbée… une suspension.

C’est cela : « suspendez le temps », nous propose l’œuvre de l’artiste, une minute, un instant, quelques heures, regardez, et alors vous verrez, abasourdis et heureux, du miracle dans le détail des choses. Dans l’inéluctable rouille qui attaque le vert d’un volet ; dans le massif neigeux d’une fin de journée d’hiver. Dans l’ambiance délicate d’un concert de musique grecque. L’image, maîtresse souveraine de l’instant, qui ne restera pas. Aussi vrai que le volet se verra remplacé, que la neige disparaîtra au soleil du printemps et que la musique s’évanouira dans le souvenir épais de ses auditeurs d’un soir ; mais l’image qui s’offre dans cet instant volé, il y a, pour Nicolas Maray, une urgence à la saisir, au fond tout au fond, dans sa macrobiologie, comme un écho lointain à cette pensée signée Paul Klee : « L’art n’est pas l’expression du visible, il rend visible ».

Voyons donc, derrière la porte… L’atelier s’anime, les couleurs éclatent, surprennent, entretiennent un mystère technique dans les formes qui se meuvent. Il y a du rythme dans la construction de ces œuvres-là, presque du son dans la matière, tout en ajouts de couches travaillées jusqu’à l’affirmation de couleurs vibrantes, évolutives, vivantes… Déchirer, reprendre, chercher, laisser faire, maîtriser le hasard, superposer, faire rouler l’outil, éclater le papier bulle, s’arrêter. Respirer. C’est là que le travail prend fin. C’est là que tout commence. L’œuvre existe, fruit heureux d’une technique ancestrale que Nicolas Maray a acquise avec le temps, sans se presser, et presque sans le savoir, dans les premières années de son existence.

À Toulon, sa mère est alors la plus jeune Directrice d’école des Beaux-Arts de France, ça laisse de sérieuses traces. Et c’est d’abord vers la photographie que Nicolas Maray se dirige. Le développement du média publicitaire sous forme de carte postale ‘’Cart’Com’’, lui ouvre des portes, dans les théâtres, les cinémas, les musées, les festivals… Un lien de confiance avec les acteurs culturels qui lui inspire la création de « 20 000 lieux sur Marseille » ; une association permettant à des artistes marseillais non reconnus d’exposer leur travail dans des lieux institutionnels de référence.

L’artiste sait de quoi il parle. Il a l’œil, la connaissance, la crédibilité et le bagage sûr d’influences éclectiques. Delacroix, Velasquez, Soulages, Rothko, Brâncusi, Giacometti, Salgado…Mais s’il est une rencontre déterminante dans son évolution de la photographie vers la peinture, c’est celle que fait Nicolas Maray lors d’une visite en 1999 dans l’atelier du peintre Jean Triolet. Il comprend que le moment est venu de s’accomplir autrement, totalement.

Il comprend qu’il est un peintre qui jamais n’entrera dans les catégories formatées par les hommes. Un peintre en marge qui fait avancer l’histoire de l’art à sa manière qui n’est la manière de nul autre. Nicolas Maray fait avec. Ou plutôt sans. Question d’habitude. L’homme a compris assez vite que la vie ne tenait à rien. Mais qu’il fallait, pour l’honorer, laisser une trace, Nicolas laisse la sienne dans la matière de ses toiles, une trace comme une virgule, une suspension heureuse qui nous offre à sonder… « Les Visages du Temps ».